L’esthétique de la résistance par Sylvain CREUZEVAULT /d’après le roman de Peter WEISS

Théâtre de l’Odéon -samedi 1er mars 2025

L’Esthétique de la résistance s’intéresse à la résistance intérieure, allemande, au nazisme. Paru en trois tomes de 1976 à 1982, le roman de Peter Weiss suit le parcours initiatique d’un jeune homme en pleine guerre antifasciste qui voyage de Berlin à Stockholm en passant par l’Espagne, et, au fil de ses rencontres avec toutes sortes de personnages historiques, dont Bertolt Brecht, se pose la question d’une possible unité communiste. Issu du milieu ouvrier, il se forme en parallèle – là réside la singularité et la force de l’œuvre de Weiss – à l’analyse des œuvres d’art, pour construire avec ses amis une généalogie de l’art résistant, libéré de toute injonction idéologique.

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Sylvain Creuzevault – entretien mené par Raphaëlle Tchamitchian, en nov. 2024 :

« En tant qu’intellectuel de gauche, l’auteur s’assoit à la table du Prolétariat et son narrateur, d’origine ouvrière, devient un écrivain… Sorte de produit en croix si je puis dire, double mouvement de dépassement des classes sociales dans l’émancipation politique à travers l’art. »

« L’œuvre retrace une histoire du mouvement ouvrier européen, confronté, défait, reconfiguré par la montée des fascismes, qu’ils soient italiens, espagnols, allemands ou autres. Il rend compte du combat antifasciste, des tensions qui l’animent et le saturent, notamment dans ses rapports au stalinisme, aux directives de Moscou. »

L’esthétique de la résistance interroge :

« Le narrateur, vingt ans au début du roman, rencontre en exil les partis communistes des différents pays qu’il traverse, et ne cesse de constater que la ligne du Komintern fait des victimes, y compris au sein de la résistance sur le terrain. D’où les questions que se pose le narrateur : pourquoi retrouve-t-on dans notre camp les violences et les brutalités de celui d’en face ? Comment s’élever à la puissance et à l’efficacité de l’organisation qu’on combat sans la reproduire ? Pris entre tous ces feux, le narrateur traverse à la fois la résistance au Nazisme et la critique du Stalinisme. »

Des années 30 à aujourd’hui, un parallélisme dans la répétition des bouleversements de l’histoire est possible :

« Sans trop chercher midi à quatorze heures, les glissements vers l’extrême-droite qu’on observe aujourd’hui un peu partout en Europe occidentale sont liés à l’évolution de la société de travail mondialisé depuis trente ou quarante ans…
…Je reste persuadé que le décryptage de la société de travail et de ses effets reste un champ d’investigation majeur pour le théâtre. Ça permet d’une part d’analyser de manière structurelle les conditions dans lesquelles ce genre de choses peut advenir, d’autre part de ne pas penser les individus comme irrécupérables, ce qui revient très vite à l’injonction de choisir son camp, et interdit le travail de la pensée. »

« Tout le monde est étranglé dans les voiles de la catastrophe, sauf son narrateur et Charlotte Bischoff, une Allemande. La barbarie décrite, organisée politiquement, ôte à chacun et chacune d’abord, et continuellement, sa faculté de s’exprimer. Mais tout au long du roman, le narrateur veut maintenir cette faculté, et même l’accroître ; c’est son acte de résistance n˚1. »